La boucle soulève également des questions de subjectivité, grâce aux récits de type Rashomon (Kurosawa, 1950): l’histoire est répétée plusieurs fois à partir d’autres points de vue contradictoires. Plusieurs comédies exploitent la boucle pour faire revivre au personnage une situation familiale, par exemple avec le trope « Noël tous les jours » (la nouvelle « Christmas Every Day » de William Dean Howells [1892]), avec l’idée de parvenir à tirer une leçon personnelle de l’événement itératif. La boucle temporelle fait ainsi partie de ces dispositifs de voyage dans le temps qui constituent des « laboratoires narratologiques » (Vittenberg, 2016) mettant en jeu des questions essentielles sur la subjectivité et la conception philosophique du temps à travers des intrigues et des dispositifs complexes.
Si la boucle favorise l’exploration des existences individuelles d’un personnage, elle permet également d’examiner les possibilités d’un futur commun. Les dimensions dystopiques ou, au contraire, l’ouverture sur des futurs collectifs résolus par la boucle temporelle causale mettent en évidence les implications politiques de ces dispositifs. Contrairement à ce que sa structure a priori fermée laisse imaginer, la boucle temporelle constitue en réalité avant tout une spirale, ouvrant des horizons et des brèches sur le devenir des sociétés, ou un pli, comme l’entend Deleuze, c’est-à-dire une manière de voir le multiple à travers les relations complexes de ses composantes.
La boucle autotélique suggère davantage l’impasse d’une situation, en raison de la perpétuation ad nauseam d’une unité temporelle, qu’il s’agisse d’une heure, d’un jour ou d’une soirée – montrant des « limbotopies » (Gomel et Shemtov, 2018)< Dans tous les cas, la boucle et le voyage dans le temps sont souvent dotés d’un caractère initiatique, malgré leur apparente contre-impulsion narrative.
La boucle peut aussi être analysée en termes de contrôle, puisqu’elle est fréquemment le produit de métavers ou de simulation : les boucles sont alors soit des dispositifs de manipulation et de surveillance ; ou alors des erreurs, des failles (« glitch ») dans les systèmes de simulation. Les machines et robots laissés à eux-mêmes lorsque leurs créateurs ont disparu dans un monde postapocalyptique peuvent eux aussi opérer « en boucle », ultime trace de la survivance dysfonctionnelle d’une humanité achevée.
L’inscription au colloque: https://paiement.appli.univ-poitiers.fr/web/boucles
Informations complémentaires
Colloque international organisé à l’université de Poitiers dans le cadre du cycle « Temporalités » (UQAM/Univ. Bourgogne/ Rennes 2/Paris 8/Univ. Bretagne Ouest/Montpellier 3/ Université de Poitiers)
Avec le soutien du laboratoire FoReLLIS, de l’université de Poitiers, de la Région Nouvelle-Aquitaine, et de la Société Internationale de Recherches sur la Fiction et la Fictionnalité
Contact Jessy NEAU